Riche de ses dimensions patrimoniale, culturelle et bien sûr commerciale, le Marché de Noël de Strasbourg draine chaque année touristes et visiteurs locaux qui s’y rendent pour des motivations différentes. Herbert Castéran, Directeur général de l’EM Strasbourg business school et enseignant-chercheur et Claire Roederer, maître de conférence et responsable de la chaire expérience-client se sont penchés sur les attentes de chacun avec deux constatations majeures : elles transcendent les groupes sociaux traditionnels et les rendent plus poreux, tandis que l’expérience vécue est un facteur clé de leur propension à consommer et de l’image qu’ils gardent de l’événement.
À l’heure où les grandes villes européennes se livrent une bataille acharnée pour remporter le titre honorifique de « Plus beau marché de Noël » et où les communes alsaciennes déploient des trésors de communication, de marketing et d’authenticité pour attirer les touristes dans leurs propres marchés à l’occasion des fêtes de Noël, voilà une étude menée par l’EM Strasbourg Business School qui ne devrait pas rester derrière le sapin. En se penchant sur « L’impact de l’expérience vécue sur la fréquentation d’un événement : l’exemple du Marché de Noël de Strasbourg », Herbert Castéran et Claire Roederer apportent un éclairage inédit sur les mécanismes de l’expérience vécue par les touristes et les visiteurs locaux sur ce marché. « L’une des nouveautés, c’est effectivement que nous parvenons à segmenter les publics non pas sur les critères traditionnels de Catégories socio-professionnelles ou de génération, mais sur les dimensions de l’expérience vécue par les visiteurs, qui les transcendent », explique Claire Roederer. Une approche dans laquelle la rhétorique et les dimensions sensorielle et praxéologique viennent justement façonner le ressenti de chacun, en fonction de ses attentes et de sa sensibilité.
Trois catégories de visiteurs
« Nous avons identifié trois catégories de visiteurs », poursuit Herbert Castéran, « que nous avons baptisé les ‘Alice’, caractérisés par leur capacité à s’émerveiller de tout facilement (37% de notre échantillon), les ‘puristes’, en quête d’authenticité absolue (16%) et les ‘Scrooge’*, plutôt critiques à l’égard du Marché (47%), qui sont souvent les locaux, d’ailleurs. » En améliorant la caractérisation de ces trois publics, les chercheurs actionnent le levier de la connaissance du client dans le but de lui offrir l’expérience qu’il attend ou, pour les ‘Scrooge’ et les ‘puristes’, de parvenir à leur proposer une offre répondant mieux à leurs attentes. « Nous avons également noté que ces groupes ne sont pas totalement imperméables », ajoute-t-il, « qu’un ‘Alice’ peut progressivement évoluer vers l’exigence d’un ‘puriste’ ou d’un ‘Scrooge’, tandis que ces derniers peuvent retrouver l’émerveillement d’un ‘Alice’, par exemple ». À condition que leur soient proposés une offre et un parcours mélangeant avec finesse les attributs attendus par ces publics différents.
Que chacun y trouve son compte
La spécificité du Marché de Noël de Strasbourg, qui donne à découvrir un patrimoine architectural unique, à vivre un moment culturel et spirituel fort tout en prenant les atours d’un grand marché commercial, donne la possibilité de construire des messages ciblés pour chacun de ces publics. Soit de tendre vers une offre globale satisfaisant le plus grand nombre : d’un côté les différentes catégories de visiteurs, chacune confortée par ou réconciliée avec le Marché de Noël, de l’autre les exposants et commerçants qui bénéficieraient ainsi d’un public conquis ou retrouvé et plus enclin à rester, à revenir et à consommer davantage. Enfin, à satisfaire les organisateurs eux-mêmes, qui pourraient retirer de ces enseignements les clés pour faire évoluer leur offre année à après année pour renouveler et renforcer son attractivité
Réinventer les concepts
À travers ces travaux, les chercheurs théorisent donc l’idée que, plus que toute autre action marketing, l’expérience vécue par le consommateur est consubstantielle de son plaisir et donc de sa propension à consommer. Elle est aussi essentielle à la construction de son souvenir et de l’image du Marché qu’il va contribuer à véhiculer autour de lui. Si le Marché de Noël de Strasbourg a fait office de laboratoire grandeur nature pour ces travaux, leurs conclusions sont largement transposables dans d’autres contextes commerciaux. « L’enjeu est d’amener les décideurs à réinventer les concepts, à se demander ce qu’ils donnent à vivre à leurs clients, comment ils renouvellent cette offre expérientielle en prenant en compte les attentes des consommateurs qui aspirent à toujours plus d’authenticité et de sincérité », explique Claire Roederer. Un travail en profondeur sur l’expérience offerte sur les points de vente qui peut, dans certains cas, interroger en profondeur les habitudes et bouleverser la perception que l’on a d’une clientèle que l’on pensait pourtant bien connaître.
*La dénomination d’Alice est tirée du roman Alice Au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll, celle de Scrooge tirée du Comte de Noël de Charles Dickens.