M-H. Broihanne, interview sur ses projets de recherche en lien avec l'AMF

Interview de Martial Bellon

Nous avons discuté avec Marie-Hélène Broihanne au sujet de ses projets de recherche en partenariat avec l’AMF, où elle siège en tant que membre du conseil scientifique.

 

  • Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consiste votre projet de recherche en lien avec l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) ?

Ces dernières années, l’industrie financière a vu émerger des stratégies d’influence numérique intégrées aux plateformes de trading et aux applications d’investissement, telles que la "gamification" (intégration d’éléments de jeu dans des contextes non ludiques, Deterding et al., 2011) et le "copy trading" (imitation automatique des décisions d’investissement via des plateformes comme eToro ou ZuluTrade). Ces outils visent à rendre l’investissement plus accessible et engageant pour les particuliers, tout en influençant leurs décisions.

Ces outils peuvent promouvoir l’épargne et la littératie financière ou favoriser l’engagement des utilisateurs, mais également exacerber les biais comportementaux, favorisant la surconfiance ou la sous-diversification. De plus, des notifications push ou des éléments visuels attrayants incitent parfois à des comportements risqués, comme le trading excessif ou des investissements non diversifiés.

En janvier 2023, j’ai proposé à l’AMF de développer une expérience en laboratoire simulant un marché financier afin d’identifier les effets causaux de ces outils sur les comportements d’investissement, d’étudier leur hétérogénéité en fonction des profils socio-démographiques des investisseurs, d’analyser les mécanismes comportementaux sous-jacents (préférences sociales, biais cognitifs, etc.) et d’explorer leur potentiel à orienter les décisions financières de manière bénéfique ou nuisible. Ce projet a ensuite été développé en collaboration avec des collègues du LaRGE (Nicolas EBER) et du BETA (Kene BOUN MY, Ingénieur de recherche au CNRS, et Jérôme HERGUEUX, Chargé de recherche au CNRS et directeur scientifique du LEES). 

 

Référence :

Deterding S., Dixon D., Khaled R., Nacke L. (2011), From game design elements to gamefulness: Defining “gamification”, in Proceedings of the 15th International Academic MindTrek Conference: Envisioning Future Media Environments MindTrek ’11 pp. 9–15 New York, NY, USA. Association for Computing Machinery.

  • Comment partagez-vous les résultats scientifiques de vos recherches auprès de l’AMF et aux autres instances ? Par quel moyen ? 

Les résultats de l’expérience pilote ont été présentés et ont fait l’objet d’une discussion lors de la séance du 21/06/2023 du conseil scientifique de l’AMF où je siège. À l’issue de cette présentation, j’ai été conviée à présenter les résultats en octobre 2023 devant la Commission Consultative Epargnants en vue d’obtenir l’accord pour la publication de nos travaux sur le site de l’AMF et d’une Cover note en novembre 2023 :

(Gamification et copy trading en finance : une expérience en laboratoire (version intégrale) (En anglais uniquement) | AMF).

Ces publications par le régulateur français ont alors eu une portée européenne et internationale. J’ai ainsi été invitée à présenter nos travaux dans une conférence à l’ESMA (le régulateur européen, Paris) en avril 2024 puis à la FINRA (le régulateur américain en charge de la protection des épargnants, Washington) en novembre 2024. J’ai également eu l’occasion de présenter nos travaux en mars 2024 lors d’une conférence organisée par l’association Strasbourg Place Financière à l’EM Strasbourg.

Nous envisageons à terme une publication dans une revue classée à l’international.

  • Pourquoi est-ce important de vulgariser ces recherches et quel est l’intérêt ?

La vulgarisation des recherches en finance est essentielle pour rendre des concepts complexes accessibles à un public non spécialisé, qu’il s’agisse de décideurs, d’investisseurs individuels ou du grand public. Par ailleurs, cette démarche renforce la transparence des travaux académiques, stimule des discussions informées sur les politiques économiques et les régulations, et accroît la confiance du public envers les institutions financières. C’est tout l’intérêt de ma participation régulière au conseil scientifique de l’AMF !

Dans le cas des plateformes de trading en ligne, la diffusion de connaissances claires sur la manière dont les outils de gamification et de copy trading influencent les comportements des investisseurs, aide les autorités régulatrices à identifier les risques potentiels et à adapter leurs politiques de surveillance. Cette compréhension partagée permet de mieux protéger les investisseurs tout en favorisant un environnement de marché plus transparent et équitable.

  • Quelles sont les attentes de vos partenaires institutionnels ?

Le partenaire principal étant l’AMF qui est le régulateur français, ce travail s’inscrit dans sa mission de protection des investisseurs. Les résultats de l’étude pilote menée au printemps 2023 ont montré que les badges de récompense jouent un rôle symétrique dans la prise de risque, à la hausse (badges valorisant la prise de risque) comme à la baisse (pour les badges valorisant l’épargne sans risque), ce qui semble indiquer qu’ils peuvent agir comme des nudges et donc qu’ils ne sont pas systématiquement néfastes. Nous avons également montré que le copy trading accroît la prise de risque de tous les participants, y compris ceux qui ne l’utilisent pas, ce qui questionne l’utilisation fréquente de cet outil sur les plateformes grand public. Enfin, certains participants sont plus sujets aux différents stimuli et requièrent une attention et une protection spécifique. 

  • Avez-vous des retours ou des évaluations de la part de l’AMF concernant vos contributions ? 

Voir les éléments relatifs à la diffusion des résultats. L’objectif de l’AMF en publiant nos travaux était de contribuer à la réflexion des régulateurs financiers à l’international puisque les questionnements dépassent le strict cadre français.

  • Comment le projet s'inscrit-il à court, moyen et long terme, et quelle est son évolution au fil du temps ?

Ce projet de recherche a été mené en deux temps :

  • La première partie, l’expérience pilote a été menée en collaboration et financée par l’AMF au printemps 2023 auprès de plus de 350 étudiants de l’Université de Strasbourg recrutés et testés au laboratoire d’Economie Expérimentale de Strasbourg (LEES).
  • La seconde partie, est en cours et fait suite à l’obtention d’un financement par l’Observatoire de l’Epargne en Europe (OEE) en juillet 2024 afin de développer l’expérience pilote pour tester un plus grand nombre de stratégies auprès d’un public plus large, et à l’international via la plateforme en ligne Prolific et ainsi d’assurer la validité externe de nos résultats.

 

Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions !

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