Pierre Gratton, Docteur (DBA) à l'Université de Montréal, invité par la Chaire « Gouvernance et transmissions d’entreprises familiales » de l'EM Strasbourg, évoque le processus de reprise d’entreprises : les pièges à éviter mais aussi les implications plus personnelles d’une telle passation. Il recueille les témoignages de deux intervenants : Christian Ehrhardt, cédant, qui a vendu son entreprise, Rustyle, et Yann Zimmermann, qui a racheté la société Kuchly.
La démarche de reprise en trois étapes majeures
Pierre Gratton prodigue quelques conseils pour préparer et sécuriser au mieux l’ensemble de ce processus en suivant le modèle établi durant sa thèse, qui détaille la démarche de transmission en trois phases de négociations distinctes. La phase relationnelle, substantielle et enfin procédurale, qui se composent chacune de plusieurs étapes capitales.
La phase relationnelle
Durant cette première étape, trois phases vont se succéder qui, chacune, va permettre au repreneur et au cédant d’évoluer dans le processus de reprise. L’étape de prospection est suivie d’une phase de rapprochement, qui se concrétise ensuite par la préparation et l’analyse. Tant le repreneur que le cédant doivent savoir bien s’entourer, et l’un comme l’autre doivent ajuster leur choix sur leurs compétences respectives, afin qu’elles soient en adéquation. Pierre Gratton insiste sur l’importance de la structuration d’une attitude positive, qui entend que les parties prenantes fassent preuve de motivation, de confiance, de légitimité et de convivialité.
Yann Zimmermann évoque à ce sujet la méthodologie qu’il a élaborée pour réaliser son projet de rachat d’entreprise dans le secteur de l’industrie, dont il était issu et dans lequel il tenait à continuer à évoluer. Une méthodologie brillante, selon les termes de Pierre Gratton, car Yann Zimmermann a pris en compte un grand nombre de critères, notamment l’aspect financier, la taille et la valeur de l’entreprise. Il est aujourd’hui à la tête de Kuchly, une société spécialisée dans le découpage, l’emboutissage et le pliage de pièces métalliques, qui a vu le jour en 1956 et avait été transmise de père en fils sur trois générations. Christian Kuchly n’ayant pas de repreneur dans sa famille, c’est tout naturellement que la transaction s’est réalisée avec Yann Zimmermann, qui a témoigné de son vif intérêt pour cette société.
Quant à Christian Ehrhardt, il a passé 40 ans chez Rustyle, dont près de 20 ans à la tête de cette entreprise, spécialisée dans la construction de bois, et notamment connue pour son produit phare : le chalet de Noël. Au moment de sa cession, en juin 2018, la société comptait 25 employés. L’expérience de Christian Ehrhardt est moins linéaire que celle de Yann Zimmermann, puisque lorsqu’il a souhaité trouver un repreneur pour Rustyle, le candidat pressenti n’a pas réussi à obtenir la confiance des banques. Fabien Thévenot, l’un des deux autres repreneurs potentiels, s’était désisté, avant de revenir sur sa décision quelques mois plus tard, en 2017, pour finalement devenir le repreneur de la société.
La phase substantielle
La phase substantielle est, quant à elle, constituée de trois étapes : l’exploration des scénarios, qui varient selon les entreprises et l’ensemble des conditions qu’il convient de négocier, la construction de l’accord, qui consiste à aboutir à une entente, avant d’aller plus loin dans la procédure et à réaliser la finalisation de l’accord, dernière étape de cette deuxième phase.
Pour Yann Zimmermann, le processus a été tout à fait transparent, tant du côté du cédant que du sien. Accompagné par son conseil dans toutes les étapes de la reprise, il a soumis une offre de rachat cohérente par rapport au chiffre d’affaires de l’entreprise, et a également proposé un montage fiscal avantageux à Christian Kuchly, dont le départ n’avait pas été préparé correctement par ses propres conseils.
Durant cette phase, bien qu’il ne soit absolument pas familiarisé avec le domaine du bois, et malgré ses hésitations, Fabien Thévenot a, quant à lui, élaboré un business plan qui a su convaincre Christian Ehrhardt, qui a donc fini par choisir ce cadre commercial de 43 ans, très motivé pour reprendre Rustyle, et qui présentait toutes les qualités financières nécessaires à une telle reprise, en plus d’un apport personnel conséquent.
La phase procédurale
Enfin la négociation procédurale se compose de l’étape de transmission, puis de gestion de l’accord. Si la dernière partie de cette phase est généralement assez fluide, la phase de transmission est quant à elle beaucoup plus sensible. Durant cette étape, le cédant doit assurer le transfert de direction et des réseaux, mais il doit surtout gérer un deuil, celui de l’entreprise qu’il a portée et fait prospérer pendant plusieurs années. Un moment charnière qui doit être géré par un accompagnement intelligent du repreneur. Ce qu’a réussi à faire Yann Zimmermann lors de la reprise de son entreprise, qui souligne l’importance d’avoir « l’intelligence de trouver la place de chacun », mais qui a été bien plus douloureux pour Christian Ehrhardt, qui a rapidement été évincé par le repreneur de sa société. Il avoue avoir très mal vécu cette phase de transmission, qui a été très brutale pour lui.
La confrontation de ces deux expériences, à la lumière du modèle établi par Pierre Gratton, permet de mieux comprendre toute la complexité du processus de transmission, et de souligner que seules 40% des négociations aboutissent généralement à un rachat effectif.