Interview de N. Endrissat, professeure invitée du cluster MAESTRO

Interview de Martial Bellon

Nada Endrissat, professeure à la Bern Business School, a séjourné 2 semaines à l’EM Strasbourg dans le cadre du « Visiting Professorship Research Program » pour travailler avec le cluster MAESTRO et partager son expertise de recherche liée aux industries créatives. Nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions sur son domaine de recherche et ses dernières réalisations. 

 

Bonjour Professeur Endrissat, merci de nous accorder cette entrevue. Afin de vous connaître un peu plus, pouvez-vous commencer par nous parler de votre parcours académique ?

J’ai étudié la psychologie en Allemagne à l’Université Libre  de Berlin. Je me suis spécialisée dans la psychologie organisationnelle et ai suivi une formation mineure dans la gestion des entreprises. 

Ensuite, j'ai obtenu un doctorat sur le leadership dans les hôpitaux suisses. J'ai passé six mois à HEC Montréal, où j'ai travaillé avec Ann Langley qui était une éminente chercheuse dans le domaine du leadership dans les organisations publiques complexes.

Mon enseignement porte à la fois sur la transformation du travail, le nouveau travail, les facteurs humains dans la transformation numérique et les méthodes de recherche. En plus de l'enseignement, je dirige un programme d'études : « Master of Science in Business Administration ». Mon poste consiste également à mener des recherches dans le domaine du travail y compris le travail créatif, le travail artisanal et la signification du travail.

 

Pouvez-vous nous parler de votre domaine de recherche actuel ?

En ce moment, je collabore sur un projet d'entrepreneuriat social avec deux collègues. Notre objectif est d'étudier comment les musées peuvent se transformer pour favoriser l'inclusion et remettre en cause l'élitisme et le colonialisme grâce à une approche entrepreneuriale ascendante.

 

Qu'est-ce qui vous a motivé à venir à Strasbourg dans le cadre du cluster MAESTRO ?

Les recherches de l'équipe MAESTRO se concentrent sur les industries créatives et les questions de durabilité, d'éthique et de création de valeur. Je me sens hautement concernée par cela et depuis un certain temps je suis les travaux des collègues comme Amélie BOUTINOT et Sophie MICHEL. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici, d'apprendre et de développer d'autres idées autour des industries créatives et de la durabilité. J'espère que ce séjour de recherche nous permettra d'établir une base solide qui nous portera à l'avenir et nous offrira des opportunités de recherche passionnantes que nous pourrons explorer ensemble.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple de collaboration réussie entre votre recherche et l'industrie créative ? Comment cette collaboration a-t-elle bénéficié aux deux parties ?

Dès mon arrivée à Berne, j'ai lancé un projet en collaboration avec la haute école des arts HKB pour explorer les parcours professionnels des titulaires d'un master en beaux-arts. Nous avons été particulièrement intéressés par une chaîne de supermarchés biologiques nord-américaine qui recrutait des artistes pour ses magasins, ce qui a suscité des réflexions sur la convergence entre l’art et le monde des affaires. J'ai analysé les raisons pour lesquelles ces artistes choisissent ce type d’emploi, ainsi que la manière dont les entreprises profitent de leur présence pour renforcer leur image de marque et afficher des valeurs progressistes. Cette chaîne, qui valorise l’authenticité et une esthétique alternative attire ainsi les diplômés en beaux-arts.

En parallèle, un autre projet avec l'école d'art s’est penché sur la production de parfums, en mettant l'accent sur la collaboration entre différentes disciplines, comme les designers et les parfumeurs, et sur l'importance de la matérialité dans les industries créatives, en utilisant des moodboards pour assurer une coordination visuelle efficace.

 

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels sont confrontées les industries créatives aujourd'hui ?

D'une part, les principaux défis pour les entreprises telles que celles de la mode et de l'architecture sont de parvenir à la durabilité et de devenir des modèles. D'autre part, les principaux défis pour les entreprises comme les musées et les théâtres sont de devenir accessibles et inclusives.

 

Comment voyez-vous l'évolution future des industries créatives ?

De nombreuses entreprises des industries créatives décident de rester petites et de se développer différemment tout en respectant la question de la durabilité. Ces modèles intéressants montrent qu'il est possible de survivre sans croissance constante. Les entrepreneurs créatifs sont uniques ! 

Les industries créatives sont un bon modèle à cet égard car elles nous montrent comment une entreprise peut survivre sans faire d'énormes profits. Elles démontrent différentes façons d'envisager la croissance ; il ne s'agit pas nécessairement de générer plus de profits, mais de développer différents domaines, de nouvelles idées et d'être un modèle. Elles introduisent naturellement la notion de durabilité. Leurs pratiques sont plus lentes mais peuvent être plus intéressantes à long terme. Elles n'ont pas de solutions à tout, mais elles sont très intéressantes pour générer de nouvelles idées et élargir le débat.

La mode, en particulier, a une empreinte écologique significative et j'espère qu'elle saura se réinventer pour offrir un modèle différent. Les industries créatives tendent également à devenir plus locales, ce qui est fascinant pour la recherche d'idées locales et le développement du patrimoine.

 

Quel est l'impact de l'IA sur les industries créatives qui cherchent à préserver l'humain tout en intégrant les médias sociaux dans l'identité professionnelle des artistes ?

En tant que chercheur, j’explore comment l'IA impacte les industries créatives et les perceptions des artistes face à ces changements. Mon objectif est de maintenir l'élément humain dans l'art et la créativité au milieu des avancées technologiques. J'étudie également la manière dont les compétences numériques et la présence sur les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de l'identité professionnelle des artistes.

 

Comment conserver l'authenticité et la pensée critique dans le travail créatif avec l'IA qui ne cesse de croître ?

Dans mon enseignement, j’encourage mes étudiants à réfléchir de quelle manière les nouvelles technologies les affectent personnellement et éthiquement. Si l'IA et l'automatisation offrent des opportunités qui facilitent le travail, elles soulèvent également la question de la déqualification. En effet, si nous comptons sur des outils comme ChatGPT pour effectuer des tâches, il est crucial de préserver notre capacité à penser de manière critique.

Dans le cadre de mes recherches, je m’efforce d’adopter cette pensée critique. Par exemple, j'étudie de quelle manière l'art peut améliorer les pratiques organisationnelles, tout en restant attentive à son utilisation commerciale et manipulatrice, comme en témoignent certaines interventions musicales visant à renforcer l'esprit d'équipe.

Je pense qu'il est important de trouver un équilibre entre les exigences de l'entreprise et les besoins humains, favorisant des environnements où les deux peuvent prospérer. L'automatisation qui privilégie l'efficacité complique souvent cet objectif. Bien que la devise d’Allen Morgenstern « travailler plus intelligemment, pas plus durement » soit idéale ; la pression pour être productif nous pousse souvent à travailler plus longtemps. Il est donc essentiel de préserver une approche centrée sur l'humain face à la montée de la technologie dans les industries créatives et au-delà.

 

NE - MAESTRO

 

Merci beaucoup Professeur Endrissat d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !

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