Entretien réalisé lors de la journée « Regards croisés sur l’expérience. Diffusion et aventure interdisciplinaire d’un concept » à la MSHS de l’université de Poitiers, le 31 janvier 2019
Claire Roederer : Bonjour Dominique, tu as reçu un prix suite à l’appel à projet de la Chaire Expérience Client de l’EM Strasbourg sur le projet Data Connect. Est-ce que tu peux rappeler brièvement la finalité du projet, où tu en es et comment tu utilises le prix pour avancer dans ta recherche ?
Dominique Carry : Ce projet, Data Connect et risques perçus, concerne la portabilité des données personnelles. Au niveau de la recherche, nous avons débuté par des terrains qualitatifs. A ce jour, nous avons réalisé 3 focus groupes et les entretiens post-expériences. Dans notre protocole, nous présentons la portabilité et nous faisons tester l’outil de portabilité de OneCub aux répondants. Un mois plus tard nous leur demandons de nous expliquer, de nous raconter leur expérience pendant un mois de la portabilité puis nous leur proposons des usages possibles de portabilité auxquels ils peuvent répondre ou non selon ce qu’ils ont comme outil. Certains vont continuer l’expérience de la portabilité, donc l’intérêt de cette portabilité, c’est aussi une éducation à la consommation, puisque nous avons des statistiques de consommation, l’empreinte écologique, qui peut aider les individus à mieux consommer en connaissance de cause. Toutefois une première remarque que nous avons identifiée, l’analyse n’a pas encore été faite, c’est le constat du manque de compréhension de ce qu’est la portabilité, tout le monde comprend bien la protection des données…
CR : la protection des données, les renseignements (domicile, produits consommés) ?
DC : Oui mais la portabilité, personne n’y comprend rien. Les personnes ne voient pas comment récupérer leur portabilité et comment la réemployer.
CR : D’ailleurs, si on voulait expliquer clairement et simplement, la portabilité, c’est bien l’idée que mes données en tant que consommateur sont ma propriété et je peux souhaiter les avoir sous la forme d’un fichier que je ne communique pas systématiquement, mais que je peux consentir à le partager, voire à vendre.
DC : Effectivement il y a deux alternatives, mais il y en a d’autres que nous sommes en train de découvrir, justement. Soit je récupère mes données et je les donne uniquement aux sites ou à des usages que je valide. Par exemple à BlaBlaCar parce que j’utilise leur service ou SNCF parce que j’utilise le train. Ou je peux les échanger contre un contenu, c’est-à-dire que nous sommes à un changement de paradigme, ce que nous pressentons, dans les données du net. Jusqu’à présent, tout était gratuit, les portabilités vont être une reprise de pouvoir des consommateurs qui vont en contrepartie de l’accès par exemple à des articles de magasines,
CR : Les consommateurs vont négocier un contenu en échange de leur données ; le fait de passer par une appli ou un système de portabilité, permet de choisir, de savoir à qui tu donnes, mais ce sont des pratiques émergentes qui impactent l’expérience de consommation et des futurs business modèles aussi, et les acteurs dont le business repose sur les données auxquelles ils ont accès gratuitement. Que peuvent dire les géants comme Google ? On peut vraiment porter ses données face à eux ?
DC : Les GAFA commence ce questionnement, parce que quelque part aujourd’hui tout consommateur s’est bien rendu comte qu’en allant sur une appli ou sur certains sites, on vous donne un questionnaire à remplir, que vous ne remplissez pas parce que vous ne le lisez pas, c’est du Opt in qui est presque induit. Finalement, la portabilité n’existe plus dans ce cas.
CR : La proposition de portabilité est dans le principe tout à fait intéressante, mais difficile dans l’exécution ?
DC : Nous sommes en train de travailler sur ce sujet et je rebondis sur ce sujet. Ce projet m’a permis en répondant à un appel d’offre proposé par la Région Nouvelle Aquitaine d’obtenir un financement avec lequel nous allons monter une vidéo éducative à la consommation pour expliquer ce qu’est la portabilité de données personnelles. Elle sera une vulgarisation de nos recherches et va permettre à tout un chacun, acteur du net, des jeunes, des seniors de mieux comprendre la portabilité. Nous allons la diffuser largement auprès d’organismes comme l’INC et d’autres organismes de défense des droits des usagers. Elle servira aussi à notre partenaire Onecub afin de faciliter la compréhension des consommateurs. A partir de janvier prochain, une fois que la vidéo sera réalisée et diffusée, nous allons monter un atelier éducatif à la consommation en partenariat avec l’Espace Mendès France de Poitiers (emf.fr). L’atelier sera destiné aux jeunes étudiants, lycéens, aux écoles, et publics intéressés pour expliquer ce qu’est la portabilité. Actuellement, il faut retenir une chose de cela, c’est que les gens ont compris ce qu’est la protection de données personnelles, ils en ont très peur, parce qu’ils ont l’impression qu’on leur vole une partie de leur personne, alors que depuis des années ils donnent tacitement leurs données.
CR : mais là ils en ont pris conscience.
DC : ils ont pris conscience de la valeur de leurs données. Nous sommes aujourd’hui à un tournant. La portabilité, c’est une réflexion sur la valeur des données personnelles pour le consommateur et puis derrière tout le business modèle des Data
CR : Cela interpelle, cela peut mettre un grain de sable dans certains modèles et cela transforme l’expérience client, ravie que la chaire Expérience Client de l’EM Strasbourg et ses partenaires Hager Group, Schmidt Groupe et la SIG Strasbourg aient pu soutenir financièrement ton travail de recherche. Merci Dominique.