Avec un patrimoine viti-vinicole hors du commun, des paysages et des vins exceptionnels, l’Alsace réunit les ingrédients d’une destination œnotouristique majeure. Il manque encore une pointe d’innovation, d’originalité et de coordination pour accélérer sur un marché en pleine croissance. Mais avec les jeunes générations de vignerons qui arrivent, les choses pourraient changer. L’EM Strasbourg a fait le point sur ce sujet lors d’une conférence du cycle Wine Management qui s’est tenue dans les locaux de son partenaire l’Agence d’Attractivité de l’Alsace, à Colmar.
Certains ont à peine 30 ans et viennent de rejoindre des domaines familiaux multiséculaires. Outre le fait qu’ils portent de grands noms de la viticulture alsacienne, leur point commun est d’avoir pris le temps de voyager avant de s’installer. « Nous sommes peut-être la première génération à l’avoir fait », témoigne Anaïs Cattin, codirigeante éponyme du domaine de Vœgtlinshoffen, elle-même passée par la Californie, Afrique du Sud, Australie, Etats-Unis… Tous ces pays du nouveau monde où l’innovation produit et touristique fait la part belle à un marketing décomplexé et à un rapport au vin plus accessible. Il y a, de ces pays, de belles idées à reprendre et à adapter à l’Alsace pour renforcer son attractivité œnotouristique.
Stimuler les sens
Diplômée du Master 2 de Management du tourisme de l’EM Strasbourg Business School, Isabelle Hess-Misslin a mené une étude poussée sur l’expérience œnotouristique en Alsace. Il en ressort qu’avant même le vin, l’authenticité des villages et la beauté des paysages sont des facteurs déterminants dans les choix des visiteurs. En utilisant le levier de l’expérience client, les vignerons ont à leur disposition un formidable outil pour mieux valoriser leurs vins. Sur le terrain, « la stimulation des sens est la clé pour forger un souvenir et pour fidéliser les clients », poursuit-elle. Ce qu’ont bien compris les pays du nouveau monde. Plusieurs domaines de la région ont pris la mesure de cet enjeu et ont investi dans des projets inspirés d’initiatives observées à l’étranger. Cela va de choses relativement simples à mettre en œuvre et peu coûteuses, à des investissements nettement plus importants mais qui peuvent permettre de capter une clientèle plus large et de la faire venir sur son domaine. Parmi les choses les plus simples, Anne-Céline Lemberger, diplômée du Programme Grande École, option International Wine Management and Tourism de l’EM Strasbourg, fait part de son expérience en Afrique du Sud : « Certains domaines, les ‘Wineries’, y ont développé le concept de Wine on tap, qui consiste à déguster directement le vin dans les barriques ou les cuves. ». Une expérience assurément marquante pour les touristes.
Créer l’événement
Pour sa part Ludovic Hauller, du domaine Hauller à Dambach-la-Ville, se souvient de la capacité des Californiens du domaine Castello di Amorosa à créer des événements uniques vendus très cher aux clients, à la hauteur de la démesure de ce château. Dans une autre dimension, il a lancé l’an dernier son propre événement au domaine en juillet 2015, l’« Olejito Beach Party » dont l’objectif était de faire venir du monde et de promouvoir un nouveau produit : un vin mousseux parfumé au Mojito... L’innovation, toujours ! Mission réussie avec 200 personnes lors de la première édition, et une forte demande pour rééditer l’événement qui atteint aujourd’hui près de 500 participants. Autre initiative marquante : l’acquisition d’un vieux camion rétro repeint aux couleurs du domaine. Ce ‘Wine truck’ est présent sur un grand nombre d’événements de la région pour faire découvrir les vins Hauller.
L’importance de l’immobilier
Mais chez Hauller comme pour d’autres domaines, c’est aussi sur l’immobilier et les infrastructures que se joue l’attractivité des maisons. Avec plusieurs challenges : comment valoriser un patrimoine porteur d’histoire sans le dénaturer ? Comment rendre hommage au terroir et aux paysages environnants ? Enfin, comment mettre en scène le métier du vigneron à travers ces bâtiments en mobilisant les sens des visiteurs ? Ludovic Hauller, Anaïs Cattin ou encore Céline Zeyssolff (à Gertwiller), représentant trois domaines ayant entrepris d’importants investissements ces dernières années se retrouvent sur ces enjeux. Chez Hauller, c’est l’histoire de la famille autour des métiers de la tonnellerie qui sera prochainement mis en avant à travers un petit musée dédié dans la maison historique du domaine au cœur de Dambach, sans oublier la construction en 2014 d’un bâtiment contemporain à l’extérieur pour mieux accueillir le public.
« Depuis Novembre 2017, le Belvédère nous permet d’accueillir le public mais aussi des événements (culinaires, artistiques…) en tirant partie du plus grand atout de Vœgltinshoffen, sa vue ! » raconte pour sa part Anaïs Cattin. Un bâtiment en transparence ouvert sur les chais où les sens sont éveillés par le choix des matériaux, gré jaune et bois, et par celui des spécialités locales accompagnant les dégustations des vins de la maison. De son côté, Céline Zeyssolff raconte comment le domaine familial est devenu un lieu offrant des expériences diversifiées : « une épicerie fine, un salon de thé, un bar à ‘manger’ pour prendre son temps, mais aussi 5 gîtes totalisant 28 couchages, cela permet de diversifier notre clientèle ! ». Ces initiatives valorisent un patrimoine œnotouristique rare. Il reste à convaincre un plus grand nombre de viticulteurs et à fédérer les initiatives pour consolider l’image de l’Alsace, de ses blancs d’exception et de sa route des vins. « Et pourquoi pas imaginer une Cité de l’expérience des Vins d’Alsace et de l’œnotourisme ? », interrogent en guise de conclusion Isabelle Hess-Misslin et Coralie Haller, responsable de la chaire Wine management & tourism de l’EM Strasbourg.