Confrontés à une concurrence étrangère très à l’aise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, les viticulteurs français doivent prendre la mesure de ces outils qui ont vocation à booster leur démarche marketing et commerciale, notamment à l’international. Un virage à prendre en urgence selon les intervenants d’une table ronde « Le numérique et le vin : un changement de paradigme » récemment organisée à l’EM Strasbourg.
Le constat est sans appel. La montée en puissance et en qualité des productions étrangères et le recul de la consommation moyenne de vin des Français place les producteurs hexagonaux dans une position délicate. Leur forte dépendance à la grande distribution, dévoreuse de marges, n’arrange pas la situation des professionnels. A ce titre, la situation du vignoble alsacien est emblématique : « Avec 70% des volumes vendus en France – un marché en recul – et principalement par le biais de la grande distribution, les vignerons alsaciens subissent une pression sur les prix très forte, malgré des vins superbement travaillés », explique Nadia Lelandais, experte en marketing et stratégie du vin. Dans le détail, il apparaît que quand le niveau de réputation des vins de Bordeaux est à 50, celui des vins d’Alsace est à 3. « La bonne combinaison de l’AOC, de l’oenotourisme et de la réputation permet en général d’augmenter les prix de vente de 10 à 15% », a-t-elle ajouté, illustrant ainsi le niveau du manque-à-gagner.
Remettre en cause ses habitudes numériques
Un constat qui impose aux viticulteurs alsaciens, mais aussi français de façon plus large, de remettre en cause leurs habitudes notamment numériques, les outils en ligne devant désormais être considérés comme faisant partie intégrante de la chaîne de valeur. « C’est un levier indiscutable pour aller chercher les clients en France et à l’étranger », assure Arnaud Tarry, fondateur de Wine Cluster, qui développe des solutions numériques au service des vignerons et de leurs clients. Indiscutable certes, mais pas encore suffisamment intégré : une étude menée par Coralie Haller, enseignant-chercheur à l’EM Strasbourg et responsable du cycle Wine Management & Tourism, révèle que 10% des entreprises vinicoles alsaciennes n’ont pas de site web. Et celles qui en ont un sont loin d’être exemplaires, avec 40% des sites en français uniquement, 58% n’étant pas marchands et seulement un sur deux étant responsive design. Alors que la tendance est aux circuits courts et à la désintermédiation, le numérique et les réseaux sociaux facilitent le dialogue direct entre le producteur et le consommateur. C’est aussi, pour Mathieu Lasne-Villoing, fondateur du site sommelierparticulier.com, un moyen de « vendre de l’authenticité à prix juste, plutôt que du marketing à prix cassé pour recréer de la valeur ».
Ne pas oublier le rôle de l’oenotourisme
Cette situation doit conduire le vignoble français à une profonde remise en question dans sa façon de communiquer et d’échanger avec ses clients. Il peut, pour cela, capitaliser sur une forte dynamique oenotouristique qui est une occasion unique de créer un lien personnel avec les consommateurs, comme le rappelle Jean-Christophe Harrang, de l’Agence d’Attractivité d’Alsace (AAA). À condition de savoir l’entretenir par la suite à travers un site web et des réseaux sociaux utilisés à bon escient. Dans tous les cas, l’idée fait son chemin de créer une dynamique collective, portée par des clusters où se regrouperaient des vignerons, des spécialistes du marketing et des nouvelles technologies et des structures d’enseignement et de recherche. Le tout au service d’un pan de la culture française, facteur de rayonnement à l’international, qui doit désormais s’approprier les outils du XXIe siècle.